Une grande première

Lorsque Jérôme m’a demandé de rédiger un compte-rendu sur cette première expérience du marathon, en insistant sur mes impressions, l’appréhension a été pratiquement aussi grande que le soir où je me suis inscrit pour de bon à cette sacrée épreuve. En effet, quoi de plus impressionnant que de se lancer dans une entreprise inconnue, où les difficultés restent des mystères qui se dévoileront au fur et à mesure de leur découverte ?
Nous sommes donc au lendemain de ces 42 km avalés et tandis que je sens la raideur de bons nombres de muscles (et de certains muscles que je ne connaissais pas), que j’ai l’impression d’avoir doublé mon âge (ciel, j’atteins les hautes sphères de certains collègues coureurs !) je décide de me lancer, à chaud, dans ce récit :
Avant l’épreuve :
La décision de faire ce marathon est venu très tard (3 semaines avant le jour J), et découle de l’abandon d’une autre course dans les mêmes dates. J’en profite ici pour adresser une pensée à Alain Brosset qui m’a cédé son dossard du fait de ses blessures aux tendons. Une autre pensée pour Jérôme pour sa réactivité (inscription demandée le dimanche… acquise le lundi).
La préparation fut donc très courte. Inconvénient : les doutes issus d’un entrainement inexistant sur du long. Avantages : pas le temps de « gamberger » et pas de pression. Pas d’objectif de performance dans ces conditions, un seul mot d’ordre : prendre du plaisir sans se faire (trop) mal.
La veille : départ pour Rennes. Le voyage se fait paisiblement et dans la bonne humeur. L’énorme plus-value de faire un marathon en groupe est que la pression est évacuée jusqu’à quelques instants avant le coup de feu.
Je passe sur la nuit épique où mon voisin de chambrée a dû me maudire pour mes incessants retournements à la recherche d’un sommeil fuyant.
Matin de l’épreuve :
Nous prenons la navette entre marathoniens. L’ambiance est très bonne mais je devine que sous les blagues répétées, se cachent une appréhension de chacun. Même les plus aguerris me paraissent tendus. Quelque part cela me rassure. De mon côté, cette merveilleuse excitation avant l’épreuve me rappelle la compétition dans un autre sport, il n’y a pas si longtemps. Le frisson et le traque avant l’action qui tout à la fois vous galvanise et vous paralyse. En me préparant et en m’échauffant, je suis impatient d’en découdre et je me demande en même temps ce que je viens faire dans cette galère ! Je profite des dernières heures pour prendre note des conseils des « vieux de la vielle » (allure à respecter, pièges à éviter…). Je mise sur un temps de 3h30, certains me conseille d’être plus optimiste, on verra plus tard que ce conseil fut précieux.
Ca y est, le coup de feu est donné. Je pars dans le sas des 3h15 avec Willy, Charlotte, Nicolas et Jean-Pierre. D’emblée l’allure me semble bonne mais la foule me gêne, voire m’oppresse. Je suis obligé de ralentir ou de slalomer.
3ème km : Je me retrouve coincé derrière la moto de la presse (qui ne filme même pas !). Je passe un kilomètre à respirer la bonne odeur de gasoil. C’était bien la peine d’arrêter de fumer pour ménager mes poumons !

Très vite, je décide de passer devant la flamme des 3h15 pour être plus tranquille, je suis en cela le conseil de Karim (merci !). De l’air ! A partir du 5ème km je commence à trouver un rythme stable. Je peux relever la tête et apprécier les encouragements sur le bord de la route. L’ambiance est excellente autour et dans la course. Je constate la solidarité entre galériens de la route : untel indique d’un geste un danger sur le passage, untel s’efface pour laisser passer un concurrent plus pressé, un coureur donne un peu d’eau à un étourdi…
16ème km : première grosse frayeur. En voulant doubler, ma cheville part dans une ornière traitresse. Etant coutumier des entorses, de vielles craintes reviennent immédiatement. Je me force au calme et analyse la situation : la cheville n’a pas tourné. Je sens une petite douleur qui ne m’empêche pas de prendre mes appuis. Je décide de continuer au même train. Au bout de 5 mn, la douleur s’estompe. Ouf ! Cette alerte m’oblige à plus de prudence et me ramène (sans jeu de mots) les pieds sur terre. En effet, avec une allure autour des 14km/h, je m’aperçois que j’avais délaissé ma montre pour le spectacle du bord de route. Je vais trop vite et risque de le regretter : je redescends à 13,5 km/h.
Mis à part cet incident, la première partie est très plaisante. Le dénivelé est légèrement négatif. Les kilomètres s’enchaînent donc tranquillement jusqu’à la 25ème portion sans que je m’en aperçoive vraiment. Nous parcourons la campagne de Rennes. Le paysage n’est pas transcendant par sa beauté mais pas moche non plus. Le vent est aux abonnés absents et le soleil qui se lève apporte quelques degrés très appréciables.
25 km : première vraie difficulté, une côte, qui paraîtrait légère pendant un entraînement à Moutiers, me rappelle plus ici mes vacances dans les Pyrénées. Je pense à Fabrice qui prend son relais ici, pas de chance Fabrice…
Peu à peu, les jambes s’alourdissent en approchant du 30ème km. J’ai épuisé mes réserves d’eau et décide de m’arrêter désormais à chaque ravitaillement, quitte à perdre quelques minutes. Je préfère cela aux crampes!
A partir de 32ème kilomètre, je commence à me traiter de fada d’être venu me fourrer dans cette virée de galerne. Je compte les mètres qui me séparent du prochain ravito et de son eau salvatrice. La température a brusquement grimpé en entrant dans Rennes. J’ai soif, j’ai les jambes dures. Peu à peu mon allure descend. Je me concentre sur les autres coureurs qui semblent autant dans la peine que moi.
Le ravitaillement du 35ème kilomètre et les quelques mètres marchés font vraiment du bien. Je repars en me disant qu’il ne reste plus que 7 km. Moins que les boucles accomplies avec Willy le jeudi soir à 16km/h, du gâteau! Du coup, je commets l’erreur du débutant (ou de l’imbécile, chacun jugera) et je force mon allure jusqu’au 37ème km. Sur les bords de quais, les cuisses me le font payer au centuple! Je me cale derrière un coureur à l’allure constante et je serre les dents en regardant ses foulées pour ne pas penser à la douleur. Pour l’anecdote, ce coureur qui m’accompagne (c’est plutôt moi qui le suit car il paraît bien plus frais et alerte…) depuis le 30ème kilomètre est V3, il terminera la course juste après moi. 39ème km, horreur ! Une rapide descente sous un pont suivie d’une méchante montée, courte mais assassine. Le souffle est court, les oreilles sifflent et les pierres qui me servent de mollets me crient de m’arrêter. Je fais la sourde oreille et fais diversion en comptant les lignes pointillées sur le bord de la route. J’attends le ravitaillement du 40ème comme le messie. La soif me fait visualiser la bière d’après course, ce qui paradoxalement me soulage et empire la situation. La borne du fameux kilomètre 40 arrive comme un mirage au bout d’une rue pavée qui scie des jambes déjà en bois. Mais pas de ravitaillement ! Le doute m’étreint. Tant pis, je continue et découvre ce fameux point d’eau après le virage suivant.

Le reste de la course se passe beaucoup mieux, une femme qui me paraît être très en jambes me double puis je la suis. Pourtant, 200 mètres avant l’arrivée, elle s’arrête d’un coup pour se faire vomir. C’est ça aussi le marathon, de grands moments de poésie !
Je franchis la ligne avec 3h10mn et 12 s au compteur, au-delà de mes espérances.
Après la course :
Petit à petit, tous les moutierrois se retrouvent. Chacun se félicite chaleureusement et donne ses impressions. Je comprends vraiment à ce moment où est le véritable mérite de la course. Il n’est pas dans le temps réalisé, ou dans le classement. Il est dans l’accomplissement d’une tâche inabordable de prime abord. Car finalement, qui a le plus de mérite ? Celui qui franchit la ligne en moins de trois heures avec le sourire aux lèvres ? Ou celui qui dépasse les 4h, qui n’est plus que crampe, sel et fatigue mais qui a dépassé sa douleur pour relever le défi ?

Jonathan

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